- INTERCULTURALITE
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Zoom sur la notion de Fihavanana

Les « havana » à l’origine du « Fihavanana »

Le Fihavanana ! Seuls les Malagasy comprennent pleinement le sens de ce terme et pour cause, il n’a pas d’équivalent dans d’autres pays et est donc intraduisible. Voici donc, sans entrer dans des considérations métaphysiques ou philosophiques, quelques éléments pour appréhender la notion du «Fihavanana » malgache.
 « Havana » signifie parent, ami, allié, et Fihavanana traduit ainsi à la parenté, l’amitié, les bonnes relations. Cette notion abstraite a des applications très concrètes dans le quotidien des Malagasy car toute la vie de la société s’articule autour cette idée.
Qu’évoque le mot « havana » pour les Malagasy ? Il désigne ceux qui resteront solidaires en toutes circonstances et se prêteront aide et assistance, qu’ils soient unis par le sang ou non. Cependant, il existe plusieurs catégories de « havana » :

-          Les « havana akaiky » - proches parents, descendants des mêmes ancêtres et partageant le même tombeau familial (frères, oncles, grands-pères, cousins, neveux…).

-          Les « havana-davitra » - parents éloignés, appartenant au grand arbre généalogique

-          Les « havana-tetezina » - parents très éloignés dont les liens avec la famille remontent loin.

Il existe aussi des « havana » hors lien de sang. Les amis intimes ou les frères de sang - « fatidra » qui signent leur amitié en échangeant leur sang. Ils font preuve de fidélité, de dévouement en toutes circonstances et se sentent concernés par tout ce qui arrive à la famille : D’où le proverbe « ny havan-dratsy tsy mahaleo ny sakaiza tiana » (Mieux vaut un ami chéri qu’un mauvais parent).
 

Le concept du Fihavanana

Le concept de « Fihavanana » est formé d’un mélange de plusieurs idées inséparables : l’amour, l’amitié, l’union, la camaraderie, la concession, la soumission, la réconciliation, l’entraide, la tolérance, le respect mutuel.
Il désigne aussi le besoin profond de se sentir entouré et la crainte de se retrouver seul dans la vie. C’est d’ailleurs à travers de vieux adages que les anciens rappellent qu’il n’est pas bon pour un homme de vivre dans l’isolement car il aura toujours besoin d’autrui :

-          « Ny hazo tohana tsy mba ala » - Un seul arbre ne fait pas la forêt.

-          « Aza tsy tia olana fa ny olana no harena » - Que les hommes ne vous soient pas indifférents, car ils sont la richesse

Le Fihavanana est fortement imprégnée des notions de réciprocité, d’échanges Aller-Retour; c’est le principe du « atero ka alao » c’est-à-dire qu’on donne aujourd’hui à des proches dans le besoin et ils revaudront le même service quand on en aura besoin plus tard. Cet échange est surtout palpable au moment des pénibles travaux de riziculture et lors d’un décès.
Dans ce dernier cas, rien n’est plus pénible pour une famille endeuillée que de se retrouver seule pour effectuer les tâches inhérentes à un enterrement, notamment l’ouverture du tombeau qui est souvent formé d’un grand trou creusé dans le sol et dont le déblaiement pour l’ouverture nécessite des bras solides. C’est dans ces circonstances qu’on voit si la famille a entretenue de bonnes relations avec son entourage. C’est donc beaucoup par crainte de l’isolement que les Malagasy entretiennent ce « Fihavanana » qui les oblige à se contrôler, à peser leurs mots devant les autres, à ne rien dire ou faire qui puisse fâcher les parents, les amis, les voisins, ou même des inconnus.
 

Les plus et les moins du Fihavanana

Le « Fihavanana », synonyme de concession, de consensus, de non-violence, permet de débloquer les situations difficiles à tous les niveaux. En son nom, les parties en conflit sont ramenées à la raison et reprennent le dialogue. Les querelles de voisinage, les conflits sanglants inter-groupes prennent fin car les Malagasy considèrent le Fihavanana  comme sacré et à placer au-dessus de toutes les autres considérations. Ils acceptent ainsi d’enterrer la hache de guerre et de repartir sur de nouvelles bases pour sauver le « Fihavanana ». Mais comme tout concept, il a aussi un pendant négatif. Pour ne pas envenimer une situation, pour ne pas choquer l’autre, on fausse la vérité, on laisse appliquer des sanctions injustes à des innocents, on ferme les yeux sur les fautes commises par un « havana »… Ainsi le « Fihavanana » est, comme on dit, une arme à double tranchant mais pour la majorité les Malagasy, c’est surtout le mot-clé qui ouvrant la porte à toutes les négociations et à tous les arrangements pour le rétablissement de la paix sociale.
 

Le Fihavanana, moteur de la vie de société

Chaque peuple s’identifie à travers des valeurs qui lui sont propres. Pas d’exception pour les Malagasy qui se reconnaissent dans le « Fihavanana ». Un écrivain malagasy, Raharolahy écrit : « il existe sur terre deux genres d’individus : le premier qui agit avec la raison et qui cherche ce qu’il pense être la vérité, le second qui agit avec son cœur et cherche le bien ». Les Malagasy appartiennent indéniablement à la seconde catégorie et éprouvent le besoin constant de tisser des relations harmonieuses et de préserver cette harmonie ; c’est le « Fihavanana ». Sans lui, l’histoire de Madagascar aurait très probablement été tachée de beaucoup plus de sang et aujourd’hui encore, sans Fihavanana, les tensions politiques auraient depuis longtemps dérivées en guerre civile.
 

Une valeur sacrée, inscrite au plus profond des Malagasy

Valeur ancestrale, le « Fihavanana » est enfouie au fond de chaque Malagasy depuis son enfance. Ainsi, chaque geste, chaque parole prononcée est dictée par ce concept. En son nom, on s’entraide, on compatit aux malheurs des autres, on respecte les voisins et l’entourage, on cède devant certaines exigences même si on a raison, on évite les heurts, etc… Chacun connaît les limites qu’il ne doit pas dépasser, chacun se contrôle car rien n’est aussi difficile à réparer que le « Fihavanana » quand il est mis à mal ou rompu.
Le « Fihavanana » est né autrefois lorsque les conditions de vie étaient difficiles et l’entraide était vitale. On l’a consolidé grâce aux visites mutuelles qu’on se rendait autrefois, car comme le dit un proverbe « Izay mahavangivangy tiankavana » - Qui rend souvent visite à ses parents ou amis est aimé d’eux. Il est transmis de génération en génération, à tous les petits malagasy, alors pourquoi tend-il à disparaitre?
 

Le Fihavanana  de nos jours

A travers le monde, la mondialisation nous inonde de « progrès » et d’inventions toutes plus formidables les unes que les autres mais parallèlement des traditions se perdent, des valeurs sont menacées de disparition ou ont déjà disparu : le « Fihavanana » malagasy en fait partie.
Aujourd’hui, l’amélioration du niveau de vie et les progrès surtout matériels font que les Malagasy ont tendance à se libérer des contraintes de la société et du « Fihavanana ». Or ce dernier meurt s’il n’est pas entretenu par des gestes ou par des actes. De nos jours, on n’accompli plus les visites à la famille, pour diverses raisons notamment le manque de temps. Nous confondons Ne pas avoir le temps avec Ne pas prendre le temps. On ne se déplace plus pour avoir des nouvelles des amis, on passe un simple coup de téléphone. Plus la société nous apporte des moyens de communication sophistiqués et moins nous parvenons à communiquer réellement avec nos proches.
Cependant, malgré les aléas de la vie moderne, les Malagasy s’accrochent au « Fihavanana » en l’adaptant aux exigences de leur époque. Par exemple lors d’un mariage, moment de réjouissance, où famille et relations doivent être présentes, les organisateurs de la cérémonie, ne pouvant faire des tablées de plusieurs centaines de personnes comme autrefois à cause de la cherté de la vie, fixent un quota d’invités pour représenter chaque groupe pour ne pas frustrer ou fâcher les « havana ». De plus, lorsqu’un décès frappe une famille, les « havana » proches et lointains ainsi que les simples voisins sensibles au malheur, se rendent dans la maison mortuaire pour témoigner leur sympathie et apporter une contribution aux dépenses en remettant une somme d’un montant variable. Il s’agit là de deux exemples d’adaptation du « Fihavanana » à la vie d’aujourd’hui.
Cependant, malgré ces quelques signes de vitalité, l’avenir du « Fihavanana » semble un peu sombre notamment en milieu urbain où les notions de coutumes et de traditions sont ringardisées et s’effacent devant les nouvelles valeurs en vogue que sont la mode et la technologie.
 


Qu'est-ce que l'Interculturalité ? 

 

 Avant même d’aborder les notions d’interculturalité et plus simplement de culture, signalons que l’important n’est pas comment on décrit la culture mais bien ce qu’on en fait. Comment on la pratique et son influence dans la vie courante ?
 

Nos racines, notre culture et les autres

On ne peut pas vivre sans culture, sans connaitre nos origines, nos racines, sans savoir qui nous sommes. Sans culture, sans racine, on n’est personne. Il est donc essentiel de se connaitre soit même.
Cependant, il ne faut pas s’enfermer dans la quête de la connaissance exacte et absolue du moi et de ma propre culture puisqu’il s’agit d’une notion vivante, évolutive. Savoir d’où l’on vient, c’est bien ; mais si on s’en tient à cette seule idée, on passe à côté de la notion d’interculturalité qui est tout aussi essentielle. En effet, nos cultures nationales, individuelles se nourrissent aussi et surtout d’échanges et d’interculturalité. En tant qu’individu, on apprend, on évolue en observant les autres, en dialoguant avec eux.
La culture est parfois muséifiée, figée. C’est une très bonne chose pour ce qui est de la transmission de savoirs, de coutumes ; mais là encore, la juxtaposition d’objets dans des galeries ne suffit pas. Il faut du dialogue, des échanges pour que les cultures se rencontrent, se mêlent.
 

Préparer la confrontation et le dialogue interculturel

Pour faciliter les échanges et les rencontres, il est de bon ton, à défaut de connaitre la culture de l’autre, de se poser des questions et d’isoler des facteurs clés de compréhension de l’autre. En commençant sur place, par exemple, par ne rien faire. C’est bien souvent la meilleure chose à faire car en réalité, ne rien faire signifie entendre, écouter, observer et prendre le temps d’apprendre la langue et de s’imprégner de quelques codes culturels.

Le dialogue interculturel… Pas si simple!

Malgré la bonne volonté, les rencontres et les relations interculturelles suscitent souvent quelques frustrations, de l’impatience, de l’énervement. Par exemple dans le travail, lorsque des individus plutôt monochrone et d’autres polychrone cohabitent dans les mêmes locaux (une chose à la fois / plusieurs choses à la fois). Certaines notions rythmant la vie de tous les jours sont perçues de manière totalement différente : le temps, l’eau et la terre sacrées, la mort, la certitude et l’exactitude, le travail, le rapport à l’argent, la prise d’initiatives, l’égalité, la hiérarchie…

 

Zoom sur la notion de temporalité        à          Vous avez la montre, nous avons le temps !

Logique linéaire avec l’horloge VS logique cyclique avec la récurrence du Marché

Malgré toutes les différences, il y a toujours une sortie de crise, un compromis, une entente possible. Jean Marie Pelt évoque fréquemment la notion d’unicité dans la diversité, signifiant que malgré les apparentes différences, nous avons toujours des similitudes et des points sur lesquels nous pouvons nous entendre.
Un pas compliqué à franchir est la notion d’intelligence de l’autre, qui n’est pas une question si, l’autre est intelligent ou non. D’ailleurs, qui suis-je pour juger de qui est intelligent ou non. L’idée est que l’autre a par défaut l’intelligence de penser autrement. Ce n’est pas simple car on a tendance à voir les autres cultures à travers nos propres yeux, et c’est tout naturel que certaines attitudes nous paraissent bizarres, étranges…

 

Illustration :

Une vieille dame raconte l’histoire d’un crapaud et d’un poisson qui sont devenu proche. Le poisson remonte à la surface de son étang chaque jour et un jour il se décide à poser une question qui le taraude depuis longtemps. Mon ami crapaud, comment est-ce que c’est la vie sur la terre ferme ? Le crapaud lui répond simplement : et bien, il y a des oiseaux dans le ciel, il y a de la poussière et de la farine partout. Cette farine est mise dans des grands sacs, eux-mêmes mis sur des charrettes à roulettes, etc, etc. Avant de partir, le crapaud lui dit : mais tu n’as surement rien compris de tout ça, tu ne vois même pas ce que je veux dire ? Et le poisson lui répond : Mais si, évidemment, il y a des poissons avec des ailes et qui volent, il y a de la farine de poisson partout. Cette farine est mise dans de grands sacs en écailles de poissons et transporté par de gros poissons munis de roulettes…

Ce court exemple nous montre tout simplement que bien souvent on imagine mal la vie de ceux qu’on ne connait pas. L’explication logique est que malgré la meilleure des volontés, notre imagination s’inspire uniquement de références connues, qui sont parfois bien loin de la réalité.
 

Evitons la crise profonde…

Le dialogue interculturel n’est pas simple, et il est important de savoir prendre des pincettes car au-delà de simples soucis d’incompréhension, il peut rapidement se transformer en choc ou conflit interculturel.
Attention notamment au débat autour de la notion de vérité qui peut rapidement se transformer en ma vérité. On a trop souvent tendance à imposer Notre Culture, si chère à nos yeux, notre culture d’entreprise, notre culture managériale à l’occidentale, pour n’en citer que quelques exemples…
Attention également aux idées que nous héritons notamment des Lumières selon lesquelles, il existe des valeurs universelles, inhérentes à l’espèce humaine. Il y a probablement un peu de vrai là-dedans, mais il faut encore une fois se méfier de l’interprétation qu’on en fait car on tombe vite dans l’idée de Nos valeurs universelles. De même, sur les questions religieuses, l’histoire regorge d’exemple où le dialogue laissait rapidement place à l’oppression. Le concept d’évangélisation, pacifique au départ, a parfois engendré de gros dégâts car interprété et appliqué par certains de manière violente et forcée.
 

C’est pas ma faute, c’est l’interculturel !!

Enfin, l’interculturel a bien souvent bon dos alors que les problèmes d’incompréhension et les tensions entre individus ne viennent pas uniquement des différences de cultures. De plus, les différences interculturelles présentent souvent moins de blocages que les différences de classe sociale par exemple. Un haut fonctionnaire malgache aura parfois plus de choses en commun avec un haut fonctionnaire français qu’avec  un petit paysan malgache.
Par un dialogue honnête, respectueux, tolérant et suffisamment d’humilité, on passe au travers des mailles du filet et l’échange interculturel devient une énorme source de richesse.

 




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